Le changement climatique ou l’absolue nécessité de changer d’échelle ! Dit comme cela, ce n’est pas sûr que cela soulève l’enthousiasme des foules. Et pourtant, ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, c’est que notre belle planète Terre survivra quel que soit le scénario que nous aurons choisi. J’insiste bien sur « choisi » car le choix nous l’avons encore entre nos mains, mais pour combien de temps encore ?
Nous sommes au volant d’un bolide avec lequel nous roulons à toute vitesse, cheveux au vent, en quête de toujours plus, d’abondance, d’opulence (l’ère du consumérisme). Au bout de la ligne droite qui se rapproche à vue d’œil, il y a un mur que nous ne voulons pas voir venir (cela risque cependant de nous faire très mal si nous freinons trop tard). Le voir venir, c’est devoir changer nos habitudes, notre petit confort de vie dont ne l’oublions pas, nous ne sommes qu’un petit nombre à l’échelle de la planète à pouvoir en profiter pleinement (1).
Alors, est-ce que nous poursuivons à la même vitesse pour devenir acteur (mais dans le monde réel cette fois-ci) d’un remake du film « le jour d’après » ou est-ce que nous préférons ralentir pour pouvoir profiter du paysage, même si nous devons consentir à faire des efforts ? En 2002 au 4ème sommet de la Terre (2), Jacques Chirac prononçait cette phrase devenue célèbre et qui est plus que jamais d’actualité « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Pour la petite histoire, cette formule, c’est Jean-Paul Deléage, historien des sciences de l’environnement qui l’a fait rajouter en relisant le discours que devait prononcer Jacques Chirac à Johannesburg. Sans en imaginer la portée qu’elle aurait pendant le discours et qu’elle a toujours ! Depuis quelques années, il y a de plus en plus de maisons qui brûlent un peu partout dans le monde et même chez nous, malgré de nombreuses initiatives, mais encore trop souvent en deçà des défis auxquels nous faisons face.
De l’éco-anxiété à l’éco-action
Il n’y a rien de plus à ajouter, tout est dit, d’autant plus avec la masse d’informations, de publications, de rapports sur le sujet du changement climatique qui sont quotidiennement mis à notre disposition et relayés via l’ensemble des canaux de communication. Le constat est là ! Et les conséquences ne sont pas ou plus qu’à des milliers de kilomètres dans les pays en développement. Nous les vivons déjà depuis quelques années en France et en Europe via un certain nombre de phénomènes naturels de plus en plus violents et extrêmes : canicules, inondations, feux de forêts, tempêtes, sécheresse…
Prenons donc garde à ne pas créer l’effet inverse auprès du public. Trop d’informations tue l’information. « L’infobésité » culpabilisante, alarmiste, fataliste, à laquelle il faut ajouter l’inadéquation de l’action des décideurs face aux enjeux, décourage une frange grandissante de la population et développe de plus en plus un sentiment d’éco-anxiété, plus principalement auprès des plus jeunes. Selon une étude récente de l’Observatoire de l’éco-anxiété en partenariat avec le collectif On est Prêt, sur un échantillon de 6 000 sondés, près de 20% déclarent ressentir des émotions proches de l’éco-anxiété et 5% de personnes se déclarent comme fortement éco-anxieuses. Or, l’éco-anxiété peut mener à la radicalisation climatique, la radicalisation à des actions violentes, les actions violentes à de la haine entre radicaux et non-radicaux, la haine … mène inévitablement à une fracture sociale. N’attendons pas d’en arriver là pour agir !
Maintenant, tout l’enjeu, et il est loin d’être simple, c’est de donner ou redonner de l’espoir, de l’envie, de créer une dynamique positive pour inciter un maximum de personnes à s’engager concrètement dans des actions visant à limiter le réchauffement et à s’adapter à ses effets qui pour certains ne peuvent déjà plus être évités. Pour cela, il est nécessaire d’avoir des leaders qui ouvrent la voie comme des alpinistes qui partent pour une course vers un sommet à plus de 8 000 mètres. A la différence que dans notre cas, ce n’est pas une équipe réduite qu’il faut mener au sommet, c’est une foule de convaincus ou de personnes à convaincre. Et il ne suffira pas d’en franchir un, mais de relever un immense défi, comparable à celui de Sophie Lavaud (3) (ou d’autres avant elle), gravir les 14 sommets à plus de 8 000 mètres. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » Mark Twain.
Le monde a besoin de leaders ‘positifs’ pour éteindre l’incendie
Alors, comment faire pour y arriver ? Pour convaincre un maximum de personnes d’agir concrètement et positivement ? Il n’y a pas de recette miracle, pas de nouvelle méthode infaillible développée par tel ou tel grand cabinet de conseil. Je pense au contraire, qu’il faut s’appuyer sur des leaders qui sauront inspirer, influencer et entraîner avec eux le plus grand nombre. Et je parle de leaders « positifs », qui donnent envie d’agir. Je ne crois pas au militantisme radical qui est selon moi contre-productif en braquant les entreprises et les institutions plutôt que de tout mettre en œuvre pour les faire bouger. Ni aux cornucopiens (4) qui sont présents dans toutes les sphères d’influence et qui diffusent largement leur courant de pensée en faisant croire bien souvent qu’ils détiennent La vérité !
En employant le terme de leader, je pourrais évoquer Martin Luther King, Nelson Mandela ou encore JFK. Mais j’ai choisi de faire le parallèle avec un événement que j’ai vécu (malheureusement à distance) et qui a marqué ma jeunesse. Le concert mythique du Live Aid en 1985. Pour ceux qui s’en rappellent ou qui l’ont peut-être même vécu, c’était un concert humanitaire contre la famine en Ethiopie en simultané sur le stade de Wembley à Londres et le JFK Stadium de Philadelphie et retransmis dans le monde entier. 70 artistes, plus de 200 000 spectateurs et les caméras de plus de 110 pays, braquées sur l’événement. Un concert … et 127 millions de dollars collectés ! Vous allez me dire pourquoi évoquer cet événement ? Parce que ce jour-là, Freddy Mercury (Queen) a réalisé une prestation mythique qui a relayé au second plan tous les autres artistes comme David Bowie, Paul McCartney ou encore Bono (U2). Lors de ce concert, Freddy Mercury était en totale harmonie avec le public et il a su créer une symbiose avec plus de 90 000 personnes présentes à Wembley. Certains organisateurs disent même que les appels téléphoniques pour les dons ont totalement explosé durant les 20 minutes de la prestation de Queen. Ce que je veux montrer au travers de cet exemple, c’est qu’il faut des leaders charismatiques capables de créer une véritable dynamique pour embarquer derrière eux une foule qui n’attend que de se mettre en action.
Transformer les entreprises de l’intérieur est clé
Quoi de plus efficace que d’agir au sein des entreprises ? Des collaborateurs mobilisés en entreprise, agiront également dans leur quotidien et pourront alors entraîner à leur tour leurs proches et avoir un impact positif dans leur sphère d’influence. Les entreprises doivent déjà et vont devoir continuer à s’adapter dans les années à venir, qu’elles le veuillent ou non. Leur existence même en dépend. Les réglementations, les différentes pressions externes, leur réputation, leur attractivité que ce soit vis-à-vis de leurs collaborateurs actuels ou futurs, de leurs clients, investisseurs ou partenaires, tous ces éléments font que les entreprises ne peuvent faire autrement que de s’engager dans la transition écologique, énergétique et sociale.
Mais comment donner envie de s’impliquer plus avant pour transformer l’entreprise de l’intérieur ? Comme je l’indiquais plus haut, il n’y a pas une, mais plusieurs méthodes qui vont dépendre d’un certain nombre de facteurs comme la maturité de la direction et des employés sur ces sujets, du caractère primordial ou non pour l’entreprise de se lancer dans une transition (ex. : attentes fortes des clients, des consommateurs, crise géopolitique, pénurie de matières premières, …), du positionnement de la concurrence, de la présence d’un dirigeant visionnaire et leader sur la nécessité de faire évoluer ou de revoir complètement le business model, etc…
Je vais prendre l’exemple du groupe Camif Matelson. La Camif est une entreprise française de commerce en ligne, fondée en 1947 et spécialisée dans l’aménagement de la maison. Elle n’était accessible qu’aux enseignants uniquement, jusqu’à sa mise en liquidation judiciaire en octobre 2008.
En 2009, le groupe Matelson dirigé par Emery Jacquillat relance la marque Camif sur internet en ouvrant l’accès à tous en spécialisant l’enseigne dans l’aménagement local et durable de la maison. En leader éclairé et visionnaire, Emery Jacquillat lance alors l’entreprise dans une révolution culturelle pour être un des premiers à doter son entreprise d’une mission et de l’inscrire dans ses statuts en novembre 2017 avant de devenir officiellement société à mission en 2020 (loi Pacte). La mission de CAMIF Matelson « Proposer des produits et des services pour la maison au bénéfice de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ». 73% du chiffre d’affaires est « made in France » et 99% des produits sont fabriqués en Europe. En 2017, Camif a été la 1ère entreprise à boycotter le Black Friday. Aujourd’hui, l’ambition de son PDG est de dupliquer le modèle responsable français à l’étranger avec des partenaires locaux pour détrôner IKEA d’ici 25 ans. Cette transformation culturelle initiée à partir de 2014 et qui a permis de préciser sa raison d’être et sa mission autour d’objectifs sociaux et environnementaux est un véritable levier d’engagement pour les salariés. Pour information, fin 2022, 1 008 entreprises à mission étaient recensées en France.
L’exemple de Camif Matelson est-il l’exemple à suivre pour déployer la transition écologique, énergétique et sociale d’une entreprise, d’un groupe et engager largement les collaborateurs ? Là encore, je pense qu’il n’y a pas qu’un seul modèle à suivre. Il faut l’adapter à la culture, à la structure de l’entreprise, à ses marchés, à ses clients… Par contre, une chose est sûre, il faut un ou des leaders (tout dépend de la taille de l’entreprise et du nombre de collaborateurs à engager) qui apportent une vision claire et engageante ; une raison d’être puissante et motivante tournée vers l’extérieur pour comprendre et répondre aux attentes des clients et exprimer l’impact que souhaite avoir l’entreprise sur ces derniers ; préciser la mission de l’entreprise pour donner un cadre et préciser les activités d’aujourd’hui et de demain et bien évidemment bâtir autour des valeurs qui décrivent la culture de l’entreprise souhaitée pour réussir le challenge de la transformation.
Rendez-vous en 2050
Paris 1er août 2050, bulletin d’informations de 20h
Il y a 27 ans, nous étions face à un défi qui nous paraissait inatteignable à l’échelle mondiale : réussir à limiter le changement climatique et à nous adapter en tendant vers la neutralité carbone planétaire.
Aujourd’hui 1er août 2050, nous avons quasiment réussi notre pari. Il nous reste bien sûr encore des efforts à réaliser, mais nous avons su faire évoluer nos modes de vie, nos modes de consommation et transformer nos entreprises et nos institutions sans que nous le vivions comme une contrainte insurmontable. Nous avons fait le choix de nous adapter plutôt que d’attendre d’être contraints d’agir dans la douleur. Un nombre grandissant de leaders issus d’entreprises de toutes tailles à travers le monde ont su faire bouger les lignes et obtenir l’adhésion d’une grande majorité de la population. Nous avons suivi les conseils de l’emblématique Sir Winston Churchill qui a dit « agissez comme s’il était impossible d’échouer ».
Ce bulletin du 1er août 2050 restera-t-il donc dans les esprits comme une utopie avec le regret non avoué de ne pas avoir agi pour nos enfants et les générations futures par pur égoïsme ? Ou au contraire serons-nous fiers de leur montrer que nous avons su mettre de côté notre confort douillet si longtemps entretenu et préservé pour plus de sobriété heureuse ?
Même si nous sommes à notre humble niveau des « colibris » ou si nous en connaissons de nombreux, pour réussir les immenses défis du changement climatique, nous avons besoin d’escadrilles de Canadair menées par des leaders.
Maintenant, que nous soyons leaders ou simplement équipiers (des millions de colibris), rendons possible le bulletin d’informations du 1er août 2050 !
Références:
(1) La moitié de l’humanité vit avec moins de 558 euros par adulte et par mois, souvent avec beaucoup moins. Les 10 % les plus riches gagnent plus de 3 100 euros, voire beaucoup plus. À eux seuls, ces derniers reçoivent plus de la moitié des revenus mondiaux. D’après l’Observatoire des inégalités : https://www.inegalites.fr/Combien-gagnent-les-habitants-de-la-planete
(2) Le 1er sommet de la Terre, plus communément appelé « Conférence de Stockholm » s’est tenu en Suède en 1972. Pour la 1ère fois, les questions écologiques ont été placées au rang de préoccupations internationales. Ce sommet a donné naissance au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Les dirigeants mondiaux se sont alors engagés à se réunir tous les 10 ans pour faire le point sur l’état de la Terre. Au même moment, le Club de Rome (groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des économistes, des industriels et des fonctionnaires nationaux et internationaux) publiait « The Limits to Growth ».
Le sommet peut-être le plus connu et généralement considéré comme une réussite est celui de Rio en 1992 qui a permis la signature de 3 conventions et donné le coup d’envoi d’un programme de lutte mondiale contre les changements climatiques, l’érosion de la biodiversité, la désertification et l’élimination des produits toxiques.
Le dernier Sommet s’est tenu à Stockholm en 2022 « Stockholm+50 ». En 50 ans, nous sommes passés de la prise de conscience à l’urgence et malgré tout, cela n’a pas permis d’aboutir à des engagements contraignants.
(3) Une performance hors norme. Sophie Lavaud, 55 ans, est devenue la première alpiniste française à gravir l’ensemble des sommets situés à plus de 8000 mètres d’altitude que compte la planète. Un exploit que seule une poignée de sportifs ont réussi au cours des dernières années, et inédit pour une personne de nationalité française.
Dans le détail, elle a atteint les sommets asiatiques du Shishapangma (2012), Gasherbrum I (2019) et Gasherbrum II (2015), Broad Peak (2017), Annapurna I (2019), Manaslu (2017), Dhaulagiri (2019), Cho Oyu (2012), Makalu (2016), Lhoste (2022), Kangchenjunga (2019), K2 (2018), et le plus haut de la planète, l’Everest (2014). Son quatorzième et dernier sommet de plus de 8 000 mètres a été franchi, le Nanga Parbat, au Pakistan (2023).
(4) Les cornucopiens sont parmi nous ! Mais qui sont-ils ? : https://theconversation.com/les-cornucopiens-sont-parmi-nous-mais-qui-sont-ils-210481
Article publié le 9 août 2023 dans The Conversation (version française)